Tranche de vie abyssale

Il rodait en son domaine. Et il était de forte mauvaise humeur.
Quelque chose clochait : les couloirs étaient moins animés que d’habitude. Pour tout dire, ils étaient déserts.
A ce moment de la journée, pourtant, il aurait du pouvoir entendre, venant de l’ouest, les indicibles râles d’agonie des combattants du froid en train de se faire hacher menu. Pas le moindre murmure de souffrance.
Et la salle cyclopéenne qu’il traversait actuellement devait normalement accueillir un carnage mêlant dans le sang et l’acier les corps endoloris et boursouflés d’êtres aux oreilles pointues et de démons. Le sol n’aurait été plus propret si personne ne l’avait franchit ces derniers éons.
Bifurquant, il se rendit au couloir d’où il pouvait normalement apercevoir les masses vrombissantes des légions du Mal voletant au plafond, avant de fondre sur les pauvres ères qui invoquaient une Lumière qu’ils ne verraient jamais plus. La voûte était déserte, le plafond formant les angles non-euclidiens habituels. Le sol de la salle était tout aussi vide, rien ne cachant ses tristes couleurs hors du spectre.

Bon sang, ou plutôt bon liquide immonde coulant dans ses veines, a quoi cela sert il d’entretenir un donjon, si les créatures qui le peuple disparaissent sans laisser de trace… et avec ceux qu’ils sont censés tourmenter, qui plus est. De plus, l’éclairage était vraiment étrange, dans ce coin des profondeurs. La teinte rosâtre diminuait au fur et à mesure qu’il avançait dans la direction de sa tanière. Par tous les pseudopodes, que se tramait-il ici ? Il avança à pas prudents, suintant vers sa couche. Et arriva, consterné, à l’orée de sa grotte.

A l’intérieur, les lumières étaient dissipées. Totalement. Seule l’obscurité la plus abyssale recouvrait sa grotte personnelle. Se préparant à la pire des embuscades, il entra.

La lumière, d’un coup, s’alluma.
Familiers, Necyomanciens, démons, déchus, succubes, chevaliers noirs, princes et chanceliers, tous étaient là. Le regardèrent. Et beuglèrent.
- Surprise !
Ils y ont pensé, se dit il ému, ouvrant ses cadeaux, déchirant l’emballage qui retenait les gesticulants aventuriers. Et ce soir, alors qu’il retournerait dans sa demeure engloutie sous les flots de sang, avant qu’il ne s’endorme et rêve, il se dirait que décidément, c’était le plus beau des anniversaires.

On a beau être grand, on devient de plus en plus ancien


INDEX ORIGINEL

Récit murmuré par Nof Samedisthjofr le 16/08/2002