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Correspondance entre un Celte et un Elfe
Un mot de Leufangdh attira cette réponse :
« Leufangdh,
Je n'ai voulu recueillir dans ma missive que des extraits des histoires fragmentaires et incomplètes retrouvés dans notre bibliothèque de Tir Na Nog.
Elfe, j'ai vécu, enfant, la mort du Roi Neit et la querelle de ses fils, qui nous déchira.
J'ai également, douloureusement, assisté au débarquement des Scots et mon père me raconta la mort de Ith, oncle du Roi Milesius d’Espagne, lors de la bataille de Mag Ith... Cette bataille, qui vit la honteuse traîtrise des fils de Neit, fut la dernière auquel mon père participa auprès de la famille royale. Il revint de ce combat brisé, déshonoré de ce que les Princes de mon peuple avait accompli. Il fut banni de ses titres et son honneur foulé aux pieds par des Seigneurs qui n’étaient que honte pour la nation elfique tout entière. Sombre, il se retrancha dans ses domaines et se préparait à des jours terribles, qui verraient la fin de la domination des descendants de Tuatha sur ce pays.
J'ai assisté au retour de la puissante flotte des Scots, menée par les neufs fils du Roi Milesius, appelant au sang pour le sang de leur oncle massacré. Nous étions dans l’année 1700 avant l’avènement de celui que les Chrétiens nomment « Jésus ».
Traîtres une nouvelle fois, nos Princes tentèrent de couler la puissante flotte par la magie et par le vent. Nous ne fîmes que disperser les vaisseaux ennemis, qui tournèrent trois jours autour de l'île avant que les vents ne leur permettent de débarquer au sud de l'île... près de notre domaine familial, près de Connla...
Heber, le fils aîné de Milesius, conquit le sud de l'île et envoya son frère Heremon débarquer au nord. Pris entre deux fronts, divisés, notre défaite était inéluctable.
Lors de la bataille, les derniers héritiers de la Reine Tuatha de Danann, furent tués. Des 9 fils de Milesius, seuls Heber et Heremon étaient encore vivants. Egalement rescapés, Heber Finn, fils d'Ir fils de Milesius, et Ludaigh, fils d'Ith.
Les Sidhes, après cette bataille, se réfugièrent derrière le voile, dans l'Autre-Monde, ou nous y rencontrâmes les Lurikeens... Ce qui se passa sur Hibernia lors de notre "absence" concerne l'histoire des milésiens, ou des "celtes" comme ils se nomment maintenant et est de peu d'intérêt pour nous autres, Elfes.
Malgré les siècles, je ne peux oublier que les hordes menées par Heber massacrèrent ma mère, mes amis et brûlèrent nos demeures...
Je ne peux oublier que ce conflit, même si nous en fûmes pour grande partie responsables, a mené mon Père à la folie.
Je ne peux oublier que mes mains sont tachées de son sang...
Vos vies, humains, sont courtes et l'Histoire devient vite légende... Les générations passent, les alliances se font et se défont. Vos ennemis d'hier seront vos amis de demain...
Mais pour nous, Tuathas ou Elfes, comme vous nous nommez, nous qui vivons au rythme de la Terre, du Soleil ou de la Lune, nous sur qui le temps n'a pas d'emprise, nos souvenirs sont encore vivaces et douloureux. Cette immortalité que vous nous enviez tant, est notre malédiction.
Car j'entends encore les cris de ma mère que vos aïeux égorgeait.
Comment pourrais-je oublier cette haine, pour votre race, qui me submergea ?
Comment pourrais-je oublier ce serment, fait sur son corps mutilé, de la venger ?
Son souvenir même c'est effacé dans vos mémoires, Celte, ainsi que sur cette terre qu'elle aimait fouler. Mais son visage est toujours présent dans mon esprit...
Pourtant, il nous a fallu revenir.
Parce qu'un péril plus grand encore que la haine qui nous oppose menace Hibernia. Il me faut donc oublier, Celte. Non pour votre peuple, ni celui des Fir Bolgs, mais pour Hibernia et pour cette Terre qui reste l'Ile de nos aïeux.
Je n'ai rien pardonné, Celte.
Mais j'ai choisi de jeter une ombre sur ces années noires, passer outre mes sentiments, trahir ma parole, contre un commandement supérieur, impérieux et nécessaire : sauver Erin !
Et combattre avec vous.
Frères d'armes, J'ai appris à vous respecter, Celte...
Apprendrais-je un jour à vous aimer, Celte, devenant ainsi parjure du serment fait à la mémoire de ma mère ?
Serons-nous un jour, Frères d’âme ?
Je l'ignore.
Mais j’ai bien appris à respecter, puis aimer les Fir Bolgs, nos anciens ennemis…
Je ne connais donc, ni ne m'intéresse guère à votre Histoire, Celte. Elle m'est étrangère et heurtée, remplie de haine et de trahison, comme toutes les histoires humaines.
Je n'en sais guère plus que ce qu'en relatent les quelques ouvrages que l'on trouve dans la bibliothèque de Tir na nog, et ne suis point savant en la matière. Je n’en cite que ce que j’ai pu en lire, et les auteurs, particulièrement humains, ont parfois une tendance a romancer ou arranger les faits…
Je sais simplement, qu'après notre départ par de-là le voile, le royaume connut la séparation entre les deux frères victorieux.
Heremon obtint la partie nord d’Hibernia, et ses descendants seront les Ui Neill, rois de Meath et d’Ulster, les Ulaid, les Dal Riada qui ont prit pied sur la cote ouest de la Bretagne (Ecosse) et les rois de Leinster.
Heremon donna une partie de son royaume à Heber Finn, le fils de son frère Ir, tué au combat, et de celui-ci descendent les Chevaliers de la Branche Rouge en Ulster, les Clanna Rory.
Heber recut la partie Sud de l’île et sa descendance directe se trouve dans les tribus et les rois du Sud d’Eirin.
Il est dit que les Celtes des provinces de Connacht descendent de Ludaigh, fils de Ith.
Le reste n’est que succession de guerre, meurtres et trahisons.
Il n’en reste pas moins que la descendance du roi Milésius continue à régner (avec plus ou moins d’influence) sur Eire encore à ce jour, avec le 129ème roi des milésiens, Owen, fils de Eocha Breac.
Voici, Leufgandh, mes origines et mes sources. L’histoire de ton Erin n’est pas l’histoire de mon peuple. L’histoire de ton Erin est l’histoire agitée des hommes, frêles mortels. Tu peux venir raconter ici à ta manière, l’histoire des descendants de Milésius. Je ne viendrais pas te contredire, Celte.
Mais ce ne sera pas l’histoire des Sidhes, de la nation Elfique, qui parcourut ces terres bien avant qu’un mortel y pose le pied.
Notre histoire est comme le fleuve. Elle coule, tranquille, incessante, immortelle.
N’y voit aucune haine, Celte. Seulement de l’indifférence. Après tout, nous ne sommes que les derniers représentants d’un peuple en voie d’extinction.
Signé :
Fenriss Lo’Drowen, Ainé des Lo’Drowen, frère de Drizzurden Lo’Drowen, Seigneur du Clan Aël Mat Hibernia, Officier Fian Broc'h. »
Une réponse ne se fit point attendre...
"Fenriss Lo'Drowen,
Je vous remercie. Merci d'avoir répondu si franchement, et surtout, d'avoir eu la politesse de me livrer un fragment seulement certes, mais un fragment douloureux et teinté d'amertume de vos propres souvenirs.
Vous rendant votre politesse, je me présente également.
Je suis Leufandh Mac Tharnyss, second fils du druide Cadran et je le crains, aujourd"'hui dernier de ses fils, bien que le sang de notre clan batte encore dans de nobles veines. J'ai vu plus de soixante fois venir la nuit du tribut (Samain) et puis vous dire que nous, Celtes, aussi bandons nos plaies. En un sens, il est heureux que nous ayions des vies si courtes.
Je suis né, au contraire de mon aîné aujourd'hui disparu dans les terres des Gaels, Et j'ai été éduqué comme tout noble l'aurait été. Vivant de maison en maison, allant de guerre en guerre, de combat en combat. Jusqu'à ce que mon tuteur et seigneur, Keid Mac Maran juge que les Brites d'Arth se préoccupassent trop de leurs terres et pas assez de notre bien commun.
Je n'ai compris que beaucoup plus tard ce qu'il entendait par là. Mais il rejoint pour un temps les peuples d'Erin. Et j'avançais alors vers mon âge d'homme. En Erin, je pu rencontrer mon père et j'eu l'honneur de recevoir ma première arme. Quelle ne fut pas ma déception de découvrir que ce fut un poignard ! Toute mon enfance, je rêvais de porter l'épée comme un vrai guerrier. je rêvais de suivre les traces de mon tuteur plus encoe que la voie obscure de mon père. Mais ce destin me fut refusé par les druides de Tara. Mon plus jeune frère; Diairil devrait la suivre à ma place, et c'est en la suivant qu'il périt de manière atroce. Loin de son île chérie d'Erin. Loin de ses frères... (Ici le calame tremble, et l'encre s'assèche)
Je connus mon âge d'homme dans les fôrets, et sur les routes de Gaule. Et c'est là que j'appris pas à pas les secrets de nos peuples, et ce qui de toujours est la grande fierté des celtes. Notre art.
Les terres de Gaule pleuraient alors sur leur propre destinée, car l'héritage double des celtes, leurs chefs, et des romains, ces damnés envahisseurs, avaient à jamais changé leur sombre destinée. Les gaulois vivent un drâme pire encore que les nôtres croyez moi Messire. Car ils se retrouvent privés de leur racines. Coupés de leur histoire, et tandis qu'ils accueillent le seigneur des romains dans leur maison, leurs coeurs vont vers les druides qu'ils ont eux-même chassés à grand coup de balais de leurs portes.
Mais là n'est pas le sujet. Vous me parlez de livres écrits par les hommes ? Et ce, il y a près de 1700 ans. Certes ils existent. Mais ce ne sont point les livres que nous écoutons, nous fidèles de la voie des anciens. Ce sont les conseils des druides. Ce sont les héritages des Teutes Celtes. Notre civilisation a grandi, s'est enrichie, embellie au contact de chaque peuple que nos routes ont croisés. Mais vous l'aurez compris, l'âme de nos peuples réside dans le voyage. J'ai passé dans ma vie plus de temps à cheval que dans un lit. Croyez le si vous le voulez, mais c'est bien la vérité.
Les fils de Mile sont des traîtres. Je sais que je vais m'attirrer la haine de certains en vous livrant cette vérité, mais c'en est bien une. Traîtres tout comme leur druide, qui a brisé une ligne et un serment qui ne l'avaient jamais été depuis plus de trois millénaires pour nous. Ce dont Mile rêvait, c'était de cités blanches, de toits brillants, de cette magie resplendissante et pleine d'orgueil que seuls vos peuples maniaient si bien. Cela, bien des descendants des fils d'Erin l'ignorent. Mile n'a pas gagné la guerre contre vos peuples avec pour seuls alliés son druide de pacotille et ses 9 rejetons débiles. Et l'armée de celtes, de ligures, de scots et de fiannas qui déferla sur Erin n'était pas toute engendrée de sa semence maudite. Je sais que nous, celtes sommes prolixes avec notre semence... héhé mais pas à ce point.
Saviez-vous que sur le continent, l'apprentissage des jeunes druides ou bardes a toujours été fixé à un minimum de vingt cycles d'études? Et encore, seuls les moins doués, et ceux qui ne pouvaient supporter plus pour leurs petits crânes pleins, ceux-là seulement s'arrêtaient à vingt années.
En Erin, le druide sombre de Mile fixa la durée de cet apprentissage à 12 années, et il créa lui-même un grand conseil de Druides qui devenait ainsi, en quelque sorte traître au grand conseil qui se tient depuis des siècles sans nombre dans le pays des carnutes. Ce n'est pas la seule trahison des milésiens j'en ai peur.
Savez-vous ce qu'il advint au peuple des Fiannas ? Savez-vous pourquoi ils furent massacrés sans doute jusqu'au dernier? Alors qu'ils ont pourtant contribués largement et hautement à la victoire des milésiens contre vos peuples.
Devinez-vous pourquoi les milésiens ont créé en Erin une véritable armée de druides à peine formés dirigés par un conseil de druides eux au contraire bien instruits? A votre avis, pourquoi, alors que les seules inscriptions en Ogham autorisées par les druides furent des indications importantes sur les pierres de direction, et les noms de nos seigneurs morts gravés sur leurs tombes, oui pourquoi a-t-on retrouvé des livres entiers remplis de l'histoire de Mile ?
Vous ne vous offusquerez pas si je vous refuse l'accès a certains de nos secrets les mieux gardés. J'imagine, que vous même ne m'apprendrez pas à tisser le voile.
Pourtant, je puis vous offrir ce présent, les premières paroles d'une complainte chantée par certains de nos bardes, traduits en langue commune :
"Je pleure avec vous frères,
Ce soir à la face de la lune
Le destin sanglant d'un père
Qui cherchant la fortune
Condamna tout un clan
Et ses peuples avec lui
A se figer sanglant
Hors de notre oubli."
Puissiez-vous, Fenriss Lo'drowen, trouver la force de pardonner à ceux qui ne comprennent pas leurs actes. Car ils sont bien souvent guidés par une main à la volonté obscure et inique.
Leufangdh Mac Tharnyss, amicalement."
Récit murmuré par Fenriss Lo'Drowen le 11/05/2004
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